Très souvent, lorsqu’on commence une longue histoire, le plus dur ne se situe pas dans les premières pages mais bien dans les toutes dernières, celles où le lecteur comprend l’inexorabilité de cette fin qui se veut à la fois attendue et inattendue. Derrière cette problématique, l’auteur, quant à lui, se pose plutôt la question de la durée. Quand devons-nous finir notre histoire ? Il y a d’un côté la volonté de tout raconter de manière à ne pas frustrer le lecteur et de l’autre la peur de la faire durer inutilement et de vider la fin de toute sa substance.
Combien d’histoires avons-nous connues, y compris dans la vraie vie, qui ont duré trop longtemps, jusqu’à détruire le capital de séduction et de bienveillance qu’elles avaient patiemment bâti ? On pense également à toutes ces séries TV dont l’étirement inutile à force de gérer une rente transforme chaque épisode en une agonie parfois ridicule ? Il est pourtant très tentant d’écrire le chapitre de trop, le paragraphe de trop, voire même les ultimes lignes de trop. Là où l’auteur croit écrire pour finir en beauté, il ne fait qu’alourdir son œuvre ou surligner grassement ce qui flottait dans l’air et qui fait souvent le charme d’une fin qui joue avec l’imaginaire du lecteur. S’il est parfois difficile de ne pas tout lui dire pour être sûr qu’il a tout compris, même ce qui n’est pas écrit, mais, quand vient la fin, le lecteur se fera, quoi qu’il arrive, sa propre fin, bonne ou mauvaise. Certes parfois, elle le décevra, d’autre encore, le rendra perplexe, sachant que le rêve de tout auteur est de le combler au-delà de tout ce qu’il attendait. Lui donner du plus sur du plus, en quelque sorte. Et là revient le spectre d’en dire trop, d’étirer inutilement, en se trompant de cible parce que nous avons sous-estimé le lecteur et sa capacité à deviner, à combler les vides…
Il existe aussi des histoires qui semblent déjà écrites et terminées avant même d’avoir commencé. Elles commencent doucement et finissent tout doucement, sauf qu’entre temps, elles ont su créer un lien différent, plus étroit et intime, parce qu’il ne s’agit plus d’impressionner le lecteur par une virtuosité ou de l’esbroufe, mais de l’accompagner ou de lui parler de lui, ou d’un être tout aussi ordinaire dans une vie tout aussi ordinaire qui se finira ordinairement. L’enjeu est ici tout ailleurs puisqu’il s’agit bien de donner malgré tout envie de lire cette histoire qu’il connait certainement par cœur… Le mystère de l’écriture se situe même certainement davantage ici que dans les procédés parfois artificiels qui vont donner lieu à cette fin si grandiose qu’on espère tous.
C’est d’ailleurs un peu la vie de nos chères Chroniques… Pourquoi continuer encore et toujours à animer ce phare qui brille on ne sait où ? Pourquoi croire que le Phoenix nous joue son tour et renaîtra quand tout indique qu’il est définitivement mort ? Je vous avoue que les membres qui animent tant ce site qui leur tient à cœur sont en droit de se poser la question un peu chaque mois quand se profile une nouvelle Mise à Jour (ces fameuses MAJ qu’il est un temps regorgeaient de textes à lire et à commenter), là où aujourd’hui l’on peine tant à avoir un seul texte maintenant que le Net continue ses mutations et nous éloigne chaque fois un peu plus de possibles nouveaux membres, soit lecteurs, soit auteurs parce que notre site semble définitivement faire partie d’un monde sur le point de disparaitre, celui d’un rêve ou d’une utopie autour d’une communauté pleine de ferveur à partager ses découvertes en écriture et ses expériences de lecture?
Si, pour l’heure, il n’est pas nécessaire de répondre à la question, il est légitime de se la poser alors que débute ce nouveau mois et bientôt une nouvelle année. Et elle ne doit pas toucher uniquement les quelques membres qui s’investissent chaque année, chaque mois pour que l’histoire de ce site ne devienne pas comme cette longue agonie que j’évoquais précédemment lorsqu’on s’obstine à ne pas finir son histoire, mais bien tout internaute qui passe parfois ici et partage ce sentiment avec nous que notre histoire lui parle encore et qu’il a lui aussi l’envie qu’elle dure encore. Le propos peut paraître inutilement grave et pourtant nous avons besoin de vous car les Chroniques ne sont pas uniquement une communauté, mais un site avec des contraintes techniques, une réalité qui nécessite du temps, de l’argent, des connaissances informatiques qu’il est de plus en plus difficile de mobiliser pour que notre petit monde ne disparaisse pas à jamais dans ce monde virtuel si grand et pourtant si éphémère qu’est le net. Et plus que jamais les Chroniques des Jours Anciens ont besoin, ici ou sur le forum, de lancer cette formule pour ainsi dire consacrée et qu’on lance comme de rien alors qu’elle est tout :
Chroniqueurs, à vos plumes !